L'entreprise libérée, nouveau modèle d’organisation digitale ?

La digitalisation de la société a notamment pour effet de raccourcir les délais, d'accélérer les processus et de supprimer les intermédiaires. Or qu'est-ce qu'un manager, si ce n'est un intermédiaire entre producteurs et direction ? Sont-ils eux aussi appelés à disparaître et avec eux l'entreprise traditionnelle, qui céderait la place à l'entreprise libérée ?

Et si la nouvelle donne numérique faisait voler en éclats le modèle de l'entreprise pyramidale ?

Pour certains spécialistes, l'heure est venue en effet de l'entreprise libérée.

Mais libérée de quoi ? De la hiérarchie, des contrôles, de toutes les entraves qui empoisonnent la vie des opérationnels.

Pour les tenants de cette nouvelle ère, l'entreprise sera à l'avenir horizontale et décentralisée ; ses membres seront autonomes, libres de gérer leur travail et leur temps comme ils l'entendent.

La confiance remplacera la défiance, la coopération la compétition, les relations seront égalitaires, les idées de chacun auront voix au chapitre.

Forcément, cette entreprise-là a aussi ses détracteurs, ceux notamment qui ont aujourd'hui pour mission d'organiser, de superviser, d'évaluer, de réprimander et de récompenser.

Pour ceux-là, l'entreprise libérée se traduira par le désordre, l'anarchie et la paralysie. Sans hiérarchie, sans contrôle, pas d'entreprise !

C'est aussi ce que pensent les salariés qui suivent les directives sans état d'âme et qui n'ont pas envie, demain, de devoir décider eux-mêmes.

Si la liberté en séduit certains, elle en effraie aussi beaucoup d'autres, qui préfèrent un mauvais chef à pas de chef du tout.

C'est sans doute ce que La Boétie appelait la «Servitude volontaire».

Mais peut-il en être autrement alors qu'on leur a appris à penser ainsi, qu'on les a formatés pour travailler en entreprise ? Qu'adviendra-t-il en revanche si les besoins de cette entreprise changent et que l'imagination, la créativité et la coopération lui sont préférables aux conformisme, obéissance et compétition qu'elle exige aujourd'hui ?

Une entreprise organisée, mais différemment
En outre, l'entreprise horizontale ne signifie pas chaos. Autocontrôle et contrôle croisé entre pairs peuvent se substituer à celui opéré par un manager, l'erreur cessant alors d'être sanctionnée.

Celle-ci n'aurait plus à être dissimulée par crainte des conséquences, mais serait au contraire révélée au plus vite pour être corrigée.

Dans l'entreprise libérée, le contrôle ne disparaitrait donc pas, il changerait juste de nature. De même, celles et ceux qui manifestent de vraies dispositions pour l'organisation pourraient toujours les mettre à profit dans l'entreprise, pour coordonner — d'égal à égal — le travail de ceux qui en sont dépourvus, mais qui ont d'autres talents. L'entreprise ne serait en rien désorganisée ; elle fonctionnerait différemment.

D'aucuns considèrent qu'il s'agit-là d'utopie et que le modèle actuel d'entreprise a encore de beaux jours devant lui, notamment parce qu'on n'efface pas ainsi un modèle qui régit la société depuis le XIXe siècle.

Peut-être…

Sans disparaître à son tour, pourquoi l'entreprise ne pourrait-elle pas évoluer, radicalement s'il le faut, à condition que soient mises en place les situations d’accompagnement ?

Pour aller plus loin, lire l’analyse d’Hubert Landier, spécialiste des relations sociales, qui en 1987, pensait déjà «l’entreprise de demain» dans son ouvrage «L’entreprise polycellulaire». Vers un monde polycellulaire - Hubert Landier